Rennes le Chateau
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PERSONNAGES

 

 

 

L’énigmatique  Monsieur  LAWRENCE

Dans le numéro 8 du Bulletin du 17 janvier (janvier 2017), j’avais consacré plusieurs pages au mystérieux tombeau des Pontils ainsi qu’à son concepteur... l’Américain Louis-Bertram Lawrence.

Je n’ai toujours pas la certitude que ce tombeau, situé en bordure de la route d’Arques, aura sciemment été ajouté à la mythologie du trésor des Deux-Rennes par Gérard de Sède - via Jean Pellet - dans un but de mystification romanesque même si, avec le temps, les indices pouvant accréditer leur participation au montage bellement imaginé par Pierre Plantard de Saint-Clair ne laissent pas de questionner le chercheur.

Dans le courant du mois de septembre 2018, alors que je me trouvais en Razès aux fins de recherches « in situ » et d’investigations diverses, j’ai eu le plaisir de rencontrer Madame Françoise Bourrel dont le père, Adrien, était le fils adoptif de Louis-Bertram Lawrence.

Monsieur Adrien Bourrel, décédé en 2016 à l’âge de 78 ans, avait constitué un épais dossier sur l’homme qu’il appelait « son père » et à qui il voua, jusqu’à la fin de sa vie, une admiration sans bornes.

Ce sont quelques aspects de la vie extraordinaire deLouis Lawrence que je vais m’efforcer de développer dans cet article, la plupart des informations que je partage étant inédites à ce jour. Je tiens à remercier vivement Françoise Bourrel de m’avoir permis de photocopier en intégralité le dossier de son père et, ainsi, m’avoir donné la chance de découvrir le parcours hors du commun d’un personnage pour le moins étrange qui fut, bien malgré lui, mêlé de près à la belle énigme des « Deux Rennes ».

Ainsi que je le mentionnais dans mon premier article sur « l’Américain des Pontils », Louis Bertram Lawrence est né le 25 octobre 1884 à Hartford (Connecticut - U.S.A). Nous n’avons, à ce jour, quasiment aucun renseignement sur son père, Laurence-Marcel Lawrence, né à Amsterdam, mais savons que sa mère, Émilie Rivarès, était née le 21 août 1863 à Patterson (New-Jersey, U.S.A) et même que sa grand-mère, Maria Rivarès, était d’origine espagnole puisque née le 7 juillet 1841 à Saragosse. Cette brave dame présente toutefois une particularité pouvant intéresser notre belle affaire... j’y reviendrai.

Lorsqu’on étudie tous les documents administratifs contenus dans le « Dossier Bourrel », on constate que Louis Lawrence fut, tour à tour, ingénieur chimiste, journaliste, éleveur de chèvres et de lapins angora, exploitant agricole, électrotechnicien, ingénieur civil, architecte, mais il fut également inventeur, musicien, chanteur d’opéra, dessinateur, féru d’égyptologie... bref ! un « touche à tout » de génie, aussi à l’aise dans l’abstraction intellectuelle que dans le savoir faire manuel.

Cependant, plusieurs aspects de sa personnalité demeurent assez obscurs... voire contradictoires. Ainsi, Louis Bertram Lawrence indique, sur une demande de passeport effectuée le 2 octobre 1918 au consulat U.S du Panama, avoir effectué son service militaire durant trois années, en France, en qualité d’Officier dans la prestigieuse Légion Étrangère. Les recherches que j’ai effectuées aux archives de la Légion, à Aubagne, n’ont pas attesté cette affectation sur le territoire français.

laurence pontils

Louis Bertram Lawrence dans les années 1920

Plus curieux, Lawrence, dans une fiche de recensement constituée cette fois-ci au Venezuela par le Vice Consul américain, sollicite une exemption de mobilisation (les États-Unis étaient entrés dans le conflit) pour « invalidité physique et soutien de famille ». Encore plus étrange... lors du recensement du 5 juin 1917, Louis Lawrence, recensé à Louisa (Kentucky), affirme à la fois « ne pas demander d’exemption » mais, également, « ne pas avoir effectué son service national »...c’est à n’y rien comprendre !!!

Pourtant, à en croire Adrien Bourrel, son « fils », Louis Bertram Lawrence aurait bien été engagé sur un théâtre d’opération, au côté des Français, durant la Première Guerre Mondiale... photo à l’appui.

laurence pontils

Je vous laisse juges... mais ne peux toutefois pas manquer de m’interroger sur les motifs l’ayant amené à donner des versions diverses et plutôt fantaisistes quant à  son passé militaire. En l’absence d’informations probantes, je pense que le doute doit profiter à « l’Américain des Pontils ».

Deux éléments intéressants concernant Lawrence sont à prendre en compte dans le cadre de l’affaire dite des « Deux Rennes ». Tout d’abord, il apparaît clairement, à l’examen de certains documents administratifs, américains ou français, que la famille Lawrence, constituée de la grand-mère, de la mère et du fils, est arrivée sur le territoire national le 18 mars 1919.

laurence pontils

Carte de séjour valable du 11 octobre 1948 au 10 octobre 1958

laurence pontils

Départ de New-York le 8 février 1919

Hors, sur la demande de passeport que Louis Lawrence sollicitera à Cincinatti en 1917, il est clairement mentionné qu’il résida en France de 1894 à 1912. Ces 18 ans passés dans notre pays n’ont, malheureusement, pas laissé de traces écrites et je reste persuadé que le fait de savoir en quels lieux il aura passé sa vie, entre 10 et 28 ans, serait de nature à éclairer une partie du mystère entourant notre Américain préféré. À titre personnel, je pencherais pour un certain coin de l’Aude.

laurence pontils

France  from  1894  to  1912

Et c’est au regard de cette simple mention administrative, mise en rapport avec le « Dossier Bourrel », que je décèle le premier des « éléments intéressants » que j’évoquais plus haut. Dans le bel hommage rendu par Adrien Bourrel à son père, j’ai été surpris par une simple petite phrase porteuse d’un enseignement jusqu’alors inédit... je cite : « sa grand-mère, Marie Rivarès, était née le 7 juillet 1841 à Saragosse, dans la province d’Aragon,et aurait connu ce coin de France où se déroule mon histoire ».

Voilà une indication, à mon sens, plutôt intéressante... la grand-mère espagnole de Lawrence aurait donc « connu » le secteur des Pontils avant la naissance de l’Américain. Curieux... cette « piste Aragonaise » me plait décidément bien et je ne doute pas de la suivre un de ces jours car elle est corroborée, en demi-teinte, par d’autres éléments figurant dans le « Dossier Bourrel ».

Le périple de la famille Rivarès-Lawrence dans le Sud de la France sera plutôt accidenté. Après avoir habité à l’Ille-sur-Têt (Pyrénées-Orientales), où Louis Bertram Lawrence dirigera une entreprise de produits chimiques, ils décideront de déménager et de s’installer dans l’Aude.

laurence pontils

Ce serait à la suite d’une cruelle déception sentimentale que Lawrence aurait décidé de quitter les Pyrénées Orientales, où ses affaires semblaient pourtant florissantes... « le cœur a ses raisons etc... »

Arrivés au début des années 1920 dans l’Aude, à Peyrolles, Lawrence, sa mère et sa grand-mère loueront puis achèteront le « Moulin des Pontils » ainsi que les terres avoisinantes. Le vendeur, Jean Galibert, avait acquis le moulin en 1880 et avait profité du barrage, déjà existant, pour installer une turbine produisant l’éléctricité nécessaire à son entreprise de confection de galons et d’épaulettes pour l’Armée Française. Veuf, il avait fait « relever » les restes de son épouse, inhumée dans la première version du fameux tombeau, afin de les transférer au cimetière de Limoux où ils se trouvent encore.

Aux Pontils, Louis Bertram Lawrence sera encore très actif. Outre la fabrication et la vente de postes dit « à galène » puis de massifs appareils TSF, il se lancera dans l’élevage de chèvres et de lapins angora, dans la culture des terres du Moulin et bien d’autres activités aussi diverses qu’étonnantes.

Il a ainsi inventé un tue-mouches électrique, une « brouette » dotée d’une planche à dessin où se trouvait fixé un stylo-plume sur un bras articulé, le déplacement de l’engin permettant d’inscrire, sur un rouleau de papier blanc, les courbes d’une route ; des dizaines d’autres appareils, aussi curieux que révolutionnaires, furent ainsi inventés par le génial Américain.

laurence pontils

C’est lorsqu’il demeura aux Pontils que Louis Lawrence fit la connaissance d’une jeune femme d’origine espagnole, Maria Dolorès Bourrel née Alloza, récemment séparée de son époux et en charge de deux jeunes garçons. La « Dolorès », comme on la nommait à Arques, vivra en couple avec Lawrence jusqu’à la fin de sa vie, les deux garçons étant, de fait, adoptés par l’Américain au grand cœur.

À la suite d’obscures raisons, la famille Lawrence quittera Peyrolles en 1934 afin d’aller habiter à Pépieux, mais, auparavant, Louis Lawrence aura revendu le « Moulin » à un certain Auguste Rousset. Quels motifs impérieux ont donc poussé Lawrence à quitter les Pontils avec femme et enfants ? Nous ne le saurons sans doute jamais, cependant, outre ses illusions, il abandonnait également sur place les dépouilles mortelles de sa mère et sa grand-mère, inhumées dans le fameux tombeau qu’il avait restauré à sa façon... nous y reviendrons.

Le bref passage à Pépieux ne fut pas un séjour agréable si l’on en croit Adrien Bourrel ; alors, la famille Lawrence regagna les Pontils en 1936 et logea, finalement, dans l’une des modestes dépendances du Moulin, revendu à Rousset deux ans auparavant. Grandeur et décadence... Lawrence dut enchaîner divers emplois dans le domaine des travaux publics pour faire vivre sa famille. Employé en qualité d’ingénieur-architecte par l’entrepreneur Marius Grau d’Axat, puis par l’entreprise Armand Pascal de Thuir (Pyrénées-Orientales), il participa, entre autres chantiers, à la réalisation de divers ouvrages d’art, notamment l’élargissement de la route dite des « Bains doux » à Rennes-les-Bains, le tracé de la route de La Frau, la construction du phare de Leucate ou de la route forestière du Bézis près du Realsesse.

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Maison des Pontils occupée par la famille Lawrence à partir de 1934

Je vais conclure cette bien courte biographie de Louis Bertram Lawrence en revenant sur le curieux tombeau dit « des Pontils » qui a fait couler tant d’encre... et proférer tant d’âneries.

Comme je l’ai indiqué au début de cette étude, c’est bien Jean Galibert, propriétaire des Pontils dès 1880, qui eut l’étrange idée d’inhumer la dépouille mortelle de son épouse dans un tombeau situé sur le petit monticule proche de la route. J’ignore la date de décès de cette brave dame, mais c’est en 1921 que Monsieur Galibert fera transférer les restes de la défunte jusqu’au cimetière de Limoux, récupérant au passage le parement du tombeau que son petit-fils, Louis, avait fait réaliser en 1903 pour rendre hommage à sa grand-mère.

Lors de l’achat de la propriété par la famille Rivarès-Laurence, vers 1922, il ne restait donc qu’une fosse béante sur la petite éminence rocheuse... qu’on se le dise une fois pour toute.

Cependant, rien ne dément ni n’infirme qu’un monument funéraire, de type cénotaphe, ne fut pas implanté en cet endroit avant 1880... cela a été évoqué par un chercheur sérieux qui, de plus, posséderait des documents corroborant cette hypothèse.

Et c’est là que les choses deviennent intéressantes... Louis Bertram Lawrence décida, vraisemblablement au décès de sa grand-mère Maria Rivarès, au milieu des années 1920, de reconstruire un tombeau au dessus de la fosse creusée sur le rocher afin d’y enterrer la vieille dame. Sa mère, Émilie Rivarès décédée en 1934, y sera également inhumée, avec ses deux chats, les trois cadavres ayant été préalablement embaumés dans la plus pure tradition égyptienne !!!

D’après les notes de Monsieur Adrien Bourrel, nous pouvons estimer que le monument funéraire était déjà  érigé, en sa « forme Arcadienne », vers 1926.

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Photo stéréoscopique du tombeau prise à la fin des années 1940

Mais, pourquoi donc Lawrence décida t-il de donner à ce tombeau la forme exacte de celui figurant sur le tableau de Nicolas Poussin : « Les Bergers d’Arcadie » ? Parce-que, là encore, le doute n’est pas permis et Adrien Bourrel le spécifie bien dans ses notes en indiquant : « Au fil des ans, certains chercheurs et écrivains apprennent la présence d’un tombeau à Pontils (SIC) qui est la copie du tableau de Poussin, le trajet n’est pas loin, on arrive devant ce monument, il faut se rendre à l’évidence, la copie est conforme. Cela devient une énigme pour certains chercheurs ».

L’artisan maçon qui réalisa le sépulcre se nommait Bourriel et était installé à Rennes-les-Bains (son petit-fils, également maçon, exerçait encore dans le village en 1994). Il travailla en suivant scrupuleusement les consignes de Louis Lawrence qui lui avait assigné un « cahier des charges » très précis quant à la forme et aux dimensions du monument... l’Américain savait parfaitement ce qu’il voulait en donnant cet aspect à la sépulture de ses parents.

Mais, ses motivations exactes quant à cette réplique du « tombeau de Poussin » restent, à ce jour, totalement inconnues.

Je ne peux m’empêcher de revenir sur les indications figurant sur la demande de passeport effectuée par Lawrence à Cincinatti le 27 janvier 1919. Tout d’abord, il signale vouloir venir en France afin « d’organiser une entreprise pour exploitation de mines de cuivre ».

 

Sur ce même document, d’autres mentions posentquestions, notamment celles relatives aux personnes et sociétés étrangères que le demandeur du passeport désirait visiter. Qu’on en juge... il y a successivement :

- Mr George H. Thurston ainsi que la Consolidated Gold Fields of South-Africa implantée à Londres. George Thurston fut associé à la Consolidated Gold Fields of SA où il était ingénieur en chef de la « Simmer and Jack Gold Mining Company ». Ces activités minières se tenant principalement en Afrique du sud (G.Thurston avait participé à la guerre des Boers).

La Consolidated Gold Fields of South-Africa était une exploitation minière d’or britannique. Fondée en 1887 à Londres pour financer les filons d’or découverts dans le Transvaal. Après 1945, la société a acquis des mines aux USA et en Australie.

Parmi les autres firmes citées se trouvent une banque située en Inde (Turner Hoare ans Co), une entreprise italienne de matériel électrique fondée en 1891 (Ercole Marelli and Co) spécialisée dans les gros équipements électriques, moteurs de locomotives, transformateurs, centrales électriques, ventilation etc… la Banca Commerciale de Milan en Italie et la Sté Fernand Velge, entreprise d’exploitation de carrières de porphyre de Bruxelles.

laurence pontils

« Names of firms abroad which applicant expects to visit »

Ainsi que je l’indiquais dans l’article : « Louis Bertram Lawrence... un Frère d’Amérique », destiné au site de Jean-Claude De Brou, il est intéressant de noter la mention «Names of firms abroad which applicant expects to visit » en haut de page. Elle établit, de manière formelle, que Louis Lawrence avait comme projet de rendre visite à ces diverses sociétés après son départ des U.S.A et alors qu’il indiquait vouloir résider en France. Il ne s’agissait donc pas d’une poursuite de ses activités d’ingénieur aux USA mais bien d’un projet à mener en France. D’ailleurs, ni lui, ni sa mère et sa grand-mère ne revinrent aux U.S.A après mars 1919.

Alors... que tirer comme conclusions rationnelles au regard de cette succession d’informations ?

-  Que Louis Bertram Lawrence, citoyen américain, avant de revenir en France en 1919, y avait passé 18 ans de sa vie.

-  Qu’il décida, un beau jour, et pour une raison encore inconnue, de donner au tombeau de sa grand-mère et de sa mère la forme exacte de celui figurant sur le tableau de Nicolas Poussin figurant au Louvre : « Les Bergers d’Arcadie ».

- Qu’il mentionna vouloir rencontrer, dès son arrivée en Europe, des personnes travaillant dans le secteur de la prospection aurifère, de forage, d’exploitation de carrières mais, également, d’une société italienne fabriquant des machines électriques dont l’usage pourrait être mis en relation avec des travaux de recherches souterraines.

Il est utile de signaler, à ce sujet, que Louis Bertram Lawrence semblait particulièrement attentif au « jardin du tombeau », comme le nomme Adrien Bourrel, et, surtout, à un certain endroit de sa propriété où se trouvaient, encore à l’époque, « des vestiges ainsi que des traces de la carrière ».

- Que sa grand-mère, Maria Rivarès née en 1841 à Saragosse, aurait connu les Pontils avant la naissance de Louis Bertram, ce qui peut indiquer une volonté familiale de retourner sur ce secteur précis... d’autant que la « piste aragonaise » est renforcée par d’autres éléments sérieux qui nécessitent des investigations poussées.

J’avais, un jour, demandé à Jean Brunelin, l’un des chercheurs les plus « solides» sur le « dossier des Deux Rennes » encore de ce monde, de me donner une bonne raison à la forme typiquement « arcadienne » du tombeau des Pontils. Il m’avait alors répondu malicieusement : « Peut-être que l’Américain appréciait la peinture du XVII° en général... et celle de Poussin en particulier ». C’est, à ce jour, la version la plus plausible que j’ai entendue, même si elle ne me satisfait pas. D’autant que Louis Bertram Lawrence connaissait, effectivement, un peintre et sculpteur de renom dont les œuvres figurent encore aujourd’hui dans le « Catalogue Drouot ». Un artiste ayant fait de lui un portrait saisissant de naturel et de ressemblance. Mettons ces différentes hypothèses en perspective... et nous aurons, peut-être, le fin mot de l’histoire.

Pour terminer sur une note poétique et nostalgique... figurez-vous que le tombeau des Pontils fut régulièrement fleuri, d’un bouquet de fleurs rouges, chaque année entre 1954 et 1988, date de sa destruction. Par qui ? Pourquoi ?... encore un mystère à ajouter à la mythologie du « tombeau des Pontils ».

                                                             Aronnax – Sainte Marie de la Route, 6 décembre 2018 

 

laurence pontils

 



 

IIème partie :

Visite de Henri Rouzaud à Rennes-le-Château

 

Après s'être rendu à Rennes-les-Bains le 2 septembre 1910 où il a rencontré M. Bories et l'abbé Boudet, l'infatigable Henri Rouzaud mentionne dans son journal être présent le 4 à Gruissan, puis le 11, il quitte Bélesta en autobus pour se rendre à Quillan. Le soir de ce même jour, il couche à Couiza pour  monter à pied le lendemain matin à Rennes-le-Château où il arrive à 7h. Rien n'indique si cette visite répond à une invitation comme pour RlB ou si cela a été suggéré par Armand Bories ou Henri Boudet.

Malheureusement, nous ne pouvons pas donner le récit complet de l'ancien député sur cette nouvelle escapade car l'encre s'est altérée à ce passage précis du cahier le rendant en très grande partie illisible. Minutieusement, quelques mots épars et quelques brides de phrase peuvent être déchiffrés. (3) Voici les plus significatifs :

villa gallo-romaine – poteries rouges sigillées – l'autre entrée où se trouve des squelettes humains – enclavement – wisigothiques – la capitale d'un pagus- Réda – Razès – sculptures-style- musée de Narbonne – cette pierre est située... à la croix... entrée de l'église – mettre à l'abri – abbé Saunière – église de Rennes – époque barbare ou wisigothique -oppidum romain – vers les X et Xièmes siècles- guerre albigeoise – Rédés ou Rennes-le-Château – il y a une trentaine d'années par M. Fédié – les gens du pays – m'a accompagné « Auguste Fons » chapelier à Espéraza.

Je laisse au lecteur-chercheur qui le souhaite, le plaisir de décrypter l'ensemble de ces 4 pages, tout en sachant que la fin du récit concerne le retour de l'ancien député sur Couiza, dont on peut retrouver les éléments évoqués dans un article de Henri Rouzaud publié en 1916 dans le Bulletin de la Commission Archéologique de Narbonne. (4)

Si ma déconvenue est grande de n'avoir pu lire et transcrire entièrement le compte-rendu de cette visite de H. Rouzaud, ma persévérance dans l'investigation est plus importante encore, je poursuis donc ma lecture des cahiers de notre ancien député de l'Aude. Ma patience est finalement largement récompensée lorsque je tombe sur un passage issu du 4ème cahier de H. Rouzaud qui permet après coup de connaître la teneur de sa visite initiale de 1910 à Rennes-le-Château. Sans plus attendre, je vous le livre : 

« Relief de Rennes-le-Château – mercredi 29 juillet 1914. Le nommé Rivière employé d'octroi, que j'avais chargé d'aller mouler le grand bas-relief barbare de Rennes-le-Château(V. 2ème cahier p 30) découvert pendant un séjour à Rennes-les-Bains, m'apporte aujourd'hui la moitié du bas-relief.

Comme celui-ci est très grand et comprend deux cavaliers tournés inversement et placés chacun dans un encadrement de style romain, il n'a pu m'en mouler qu'un seul, le mieux conservé. On y voit toutes les dégradations récentes ou anciennes de la pierre qui est un grès calcaire du pays sûrement gélif (gélif = susceptible de se fendre sous l'action du gel). Ce qui fait que ce monument sera bientôt complètement ruiné et méconnaissable dans quelques années, placés comme il est dehors et à plat, au pied de la croix qui est devant la nouvelle église de Rennes-le-Château.

La vieille bonne de l'abbé Saunière(celui qui trouva ce monument dans l'ancienne église et qui refit la nouvelle) a confirmé verbalement à mon mouleur que la pierre des 2 cavaliers était une pierre tombale. Elle recouvrait lui a-t-elle dit un tas d'ossements humains. Il me sera facile maintenant que j'ai ce moulage chez moi d'en faire tirer une bonne photographie et de faire connaître ce monument du Haut moyen-âge. Pour ce qui est de la partie qui a le plus souffert et où est représentée l'autre cavalier, voici un croquis à main levée fait par le mouleur et que je décalque sur mon cahier.

 

rennes le chateau rouzaud


Quant à la pierre de même nature qui est parallélépipédique qui porte une croix sur sa face antérieure et divers entrelacs et oiseaux sur les 2 faces contiguës, voici le croquis représentant cette croix, qui est intéressante par un manche ou manubrium (mot latin signifiant manche)  et permet de trouver une date approximative à ces bas-reliefs. Cette croix représente en effet comme forme et comme style, la grande croix que nous possédons au musée de Narbonne (actuellement dans l'escalier, avant d'entrer dans la bibliothèque) et qui provient à près sûrement de la première église de Narbonne, située où est maintenant la Madeleine et le cloître Saint Just, c'est à dire antérieure à celle des temps carolingiens.

rennes le chateau trouvailles

Tout insuffisants qu'ils soient, ces croquis étaient donc dignes d'être mis ici, en attendant des photographies ou des moulages de ces monuments très anciens de Rennes-le-Château. » (5)

On ignore si Henri Rouzaud a effectivement rencontré  l'abbé Saunière en 1910 et cela bien que son nom soit notifié dans le cahier, on sait par contre que durant cette visite, il fut accompagné par « Auguste Fons, chapelier à Espéraza ». Dans ces extraits de journal, on y glane nombre de renseignements.

Sur « la dalle des chevaliers » ou bas-relief, nous connaissons désormais l'existence d'un demi-moulage réalisé dès 1914 à l'initiative de H. Rouzaud par un nommé Rivière. Qu'en est-il advenu ?

   rennes le chateau sortie rouzaud

Partie de la dalle des chevaliers reproduite en croquis par Rouzaud, non moulée

                                  

Ce nommé Rivière s'est vu confirmé par « la vieille bonne du curé » (est-ce qu'il s'agit de Marie Denarnaud, elle qui est née en 1868 et qui a donc 46 ans en 1914 ?) que cette dalle était une pierre tombale qui recouvrait un tas d'ossements humains devant le maître-autel de l'église. Outre le fait que cette information a été donnée en 1910 durant la visite de RlC, elle corrobore en tout point ce qui va figurer, 17 ans plus tard, dans le bulletin de la SESA de 1927 :

rennes le chateau la dalle

 

H. Rouzaud mentionne aussi dès 1910 que : « ce monument sera bientôt complètement ruiné et méconnaissable dans quelques années, placés comme il est dehors et à plat, au pied de la croix qui est devant la nouvelle église de Rennes-le-Château ». Ceci n'est pas sans nous rappeler ce qui est indiqué dès l'excursion de 1905 par la SESA (bull. De 1906) :

 

rennes le chateau rouzaud

ainsi que lors de l'excursion de 1908 (bull. de 1909) :

rouzaud rennes le chateau france aude

 

On notera, au passage, que la description de la dalle est à l'époque (1905-1908) assez brève en étant qualifiée d' « ancien vestige qui daterait du Vème siècle » néanmoins ces différents passages montrent bien que ce monument était bien dehors, retournée, au pied de la grande croix jusqu'à ce qu'elle en soit retirée par Pierre Embry en 1927 et transférée au Musée lapidaire de Carcassonne.

Quant au pilier de la mission qui supporte Notre-Dame de Lourdes dans le petit jardinet, appelé par certains chercheurs « wisigothique » et par d'autres « carolingien », il est décrit en ces termes lors de l'excursion de la SESA de 1905 (bull. De 1906) :

rennes le chateau europe france

 

Outre une description impeccable de l'objet, notre archéologue « amateur » n'est pas en reste et communique un élément majeur en révélant qu'il existe un pilier similaire au Musée de Narbonne qui provient de l'église primitive de cette ville.

renes le chateau pilier wisigothique

Pilier à entrelacs et oiseaux
 avec une croix à manubrium
retourné par l'abbé Saunière

rennes le chateau pilier

Pilier du Musée de Narbonne
 
avec une croix à manche
appelé manubrium


 

La similitude constatée par l'ancien député réside effectivement dans la présence sur les deux piliers d'un manubrium et d'oiseaux stylisés.

 

De plus, Rouzaud ajoute « cette croix, qui est intéressante par un manche ou manubrium et permet de trouver une date approximative à ces bas-reliefs... et qui provient à près sûrement de la première église de Narbonne, située où est maintenant la Madeleine et le cloître Saint Just, c'est à dire antérieure à celle des temps carolingiens. »

Selon sa formulation, il semble donc proposer une datation commune de l'église et du pilier «antérieure à celle des temps carolingiens ».

Ceci n'est pas en contradiction avec les excursionnistes de 1908 qui mentionnent que le pilier décoré soutenant à l'origine le maître-autel « paraît de la même époque que la pierre tombale » ou dalle des chevaliers qui selon les excursionnistes de 1905 est « un ancien vestige qui daterait du Vème siècle ». Logiquement, le pilier de la mission est considéré datant de la période wisigothique. 

rennes le chateau autel
archives rennes le chateau

 Excursion de SESA de 1908 pp132-133

 

C'est seulement en 1927, que la même SESA changera la datation de la dalle (reproduction de Henri Guy) en  fixant sa fabrication désormais au moyen-âge, ce qui, par voie de conséquence, transforme le pilier dit  « wisigothique » en pilier « carolingien ».

 

On pourrait penser que tout est dit sur ces monuments (dalle et pilier) pourtant un mot mentionné par Rouzaud doit retenir notre attention : bas-relief. Voici ce qu'il dit à son sujet :

« Le nommé Rivière employé d'octroi, que j'avais chargé d'aller mouler le grand bas-relief barbare de Rennes-le-Château découvert pendant un séjour à Rennes-les-Bains, m'apporte aujourd'hui la moitié du bas-relief. Comme celui-ci est très grand et comprend deux cavaliers tournés inversement et placés chacun dans un encadrement de style romain, il n'a pu m'en mouler qu'un seul, le mieux conservé».

Il me semble que ce mot n'a jamais été employé pour désigné la dalle des chevaliers, on la désigne habituellement comme dalle, pierre tombale, dalle mortuaire, élément de chancel ou encore panneau de sarcophage... Ce simple mot de bas-relief peut, je pense, permettre d'entrevoir différemment des éléments restés jusqu'ici épars. Etudions si Rouzaud a raison de dire qu'il s'agit là d'un bas-relief  en examinant les deux autels de l'abbaye de Saint Polycarpe datant de la même époque que celui de RlC :

art roman rennes le chateau

Au fond, de chaque côté, 2 piliers à arcatures
romanes ressemblant à celles figurant sur la       
dalle des chevaliers de l'église de RlC, devant 
placé au milieu un bas-relief à entrelacs  

rennes le chateau

Au fond, de chaque côté, 2 piliers à entrelacs
décor présent sur les faces contiguës du pilier
de RlC, devant placé au milieu un bas-relief

à croix pattée  

 

L'ancien maître-autel de l'église de RlC a la même configuration, enchâssé sur un côté dans le mur comme l'indique l'abbé Saunière lors de la visite de la SESA en 1908. Par un jeu de montage photographique de mon imagination, on peut reconstituer approximativement le maître-autel, tel qu'il était placé à l'origine dans l'église :.

matre autel narbonne rennes le chateau

Maître-autel reconstitué avec le pilier de RlC, le pilier
du musée de Narbonne et la dalle des chevaliers en bas-relief

Cette démonstration me semble probante. Maintenant, je vais émettre l'hypothèse personnelle suivante : à une époque à déterminer, un trou a été creuser devant ce maître-autel pour y mettre X chose. Saunière a dit à la SESA (tout comme « la vieille bonne du curé » de RlC le confirmera au mouleur de Rouzaud) que, lors des travaux de rénovation pour mettre un nouveau maître-autel, il a été trouvé, sous la dalle, un tas d'ossements humains (et non un squelette). A qui appartenait ses ossements ? Ne peut-il pas s'agir là de reliques d'un saint ou d'une sainte ? Sans doute, d'autres éléments étaient joints à ses ossements notifiant à quoi ils correspondaient et la raison qui a poussé un ou plusieurs individus à recouvrir cette cache. Rien de plus simple et de plus proche : en faisant basculer en avant le bas-relief des chevaliers, partie sculptée face contre terre et tout en laissant en place le dessus du maître-autel et les deux piliers. Le maître-autel est donc resté en l'état jusqu' à l'arrivée de Saunière et de son désir de modifier l'ancienne tradition qui voulait que le desservant ecclésiastique soit face au mur au fond de l'église.  Il reste bien entendu à déterminer quand a eu lieu ce tour de main et, ensuite, qui peut en être l'auteur (voir plusieurs). On écartera d'office la période  carolingienne sous laquelle on a placé ce maître-autel dans cette église. Rayons de la liste Les Voisins et les Hautpoul qui ont un tombeau seigneurial à leur disposition, pourquoi enterrer un tas d'ossements humains devant le maître-autel ? Nous arrivons dès lors au XVIIIème siècle et les frères Bigou. L'un qui est sans doute témoin et acteur de la fermeture du tombeau des seigneurs et l'autre  prêt à prendre la fuite face au péril révolutionnaire et qui souhaitait mettre à l'abri des  objets … Alors pourquoi pas sous la bonne garde des chevaliers du bas-relief ? La question reste ouverte et le mystère demeure.

 

CONCLUSION DE L'ETUDE

 

Le journal Rouzaud est un document de première main tant il fourmille d'informations précieuses sur les 2 Rennes : d'un côté, le nombre imposant des trouvailles archéologiques et leur localisation sur un territoire circonscrit de RlB, de l'autre un état des lieux des monuments de RlC (dalle et pilier) et la confirmation des éléments donnés par la SESA.

Chose rare, Henri Rouzaud était un contemporain de nos deux abbés, Boudet et Saunière qu'il a, sans doute, rencontré tous les deux lors de son escapade audoise. Son témoignage écrit laisse à penser que de nouvelles découvertes peuvent être encore mises à jour aujourd'hui.  

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Léa Rosi
Mars avril 2018

 

Liens ayant permis la transcription des cahiers de Henri Rouzaud – consultation libre sur le site de la médiathèque de Narbonne, rubrique patrimoine numérique, naviguer avec les flèches latérales et suivre la numérotation en haut de page des cahiers :

 

(1) Visite de Henri Rouzaud à Rennes-les-Bains le 2 septembre 1910 - transcription du cahier n°2 de la page 22 à 26 :

https://fr.calameo.com/read/000582905f02608301f12?authid=QhhV7ggrMi09

(2) Visite de Madame Boudet à Henri Rouzaus à Axat le 25 juin 1915 – transcription du cahier n°4 de la page 180 à 181 :

https://fr.calameo.com/read/000582905e2e06ff5bc80?authid=UPGrCFfvSNjt

(3) Visite de Henri Rouzaud à Rennes-le-Château le 12 septembre 1910 – transcription du cahier

 n° 2 de la page 28 à 32 :

https://fr.calameo.com/read/000582905f02608301f12?authid=QhhV7ggrMi09

(4) Article de Henri Rouzaud paru dans le Bulletin de la Commission Archéologique de Narbonne de 1916, p275, intitulé « Petites notes sur d'anciens noms locaux » :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4865019/f332.image.r=rennes-les-bain

(5) Visite du nommé Rivière à Henri Rouzaud le 29 juillet 1914 – transcription du cahier n°4 de la page 93 à 95 :

https://fr.calameo.com/read/000582905e2e06ff5bc80?authid=UPGrCFfvSNjt

 

 



ESCAPADE DE HENRI ROUZAUD, ANCIEN DEPUTE DE L'AUDE  AUX DEUX RENNES

rouzaud rennes les bains

Henri Rouzaud (1855-1935)

En préambule, je voulais adresser mes remerciements sincères à un généreux chercheur, Guillaume, alias Virgile, qui m'a, par un conseil bien avisé, aiguillé vers une nouvelle source qui s'est révélée  riche d'informations et qui me permet aujourd'hui de vous présenter cette étude. 

Il s'agit des manuscrits « Rouzaud » ou plus exactement, comme il le dit lui lui-même, d'un journal de ses trouvailles archéologiques et qui se présente sous forme de cahiers.

archives rennes les bains

A partir de 1906, date du premier manuscrit, jusqu'en 1935, Henri Rouzaud nota scrupuleusement et régulièrement les résultats de ses interventions (tranchées, sondages, ramassages de surface) notamment sur son site de prédilection : Montlaurès. Au fil des années, il répertoria ses trouvailles et les circonstances de leurs découvertes dans des manuscrits réunis aujourd'hui en cinq cahiers d'environ 300 feuillets chacun soit 1500 pages, consultables à la médiathèque de Narbonne.

Mais avant d'aborder les résultats de cette consultation des cahiers, il semble important de dresser un portrait succinct de son auteur Henri Pierre Rouzaud. Né à Axat en 1855, ce Docteur ès Sciences, maître de conférence à la faculté de Montpellier fut aussi député de l'Aude de 1893 à 1898, viticulteur, conseiller municipal de Montpellier, percepteur de Narbonne, il écrivait enfin dans différentes revues comme la revue des Pyrénées. Passionné d'archéologie, il deviendra membre de la Commission Archéologique de Narbonne à partir de janvier 1910.

Au cours de cette année 1910, Henri Rouzaud fut convié par Armand Bories, ancien notaire de Narbonne et membre de la même Commission Archéologique depuis juillet 1885, à se rendre à Rennes-les-Bains et à y rencontrer l'abbé Henri Boudet qu'il ne connaissait pas. Notons que Armand Bories ne nous est pas totalement inconnu. C'est lui, en effet, qui acheta avec MM. Coll et Satgé, lors de la mise aux enchères de juin 1889, les thermes et certaines terres qui appartenaient, jusque là, à la famille de Fleury.

Plongeons-nous maintenant dans cette journée de septembre 1910, en suivant le récit que nous a laissé Henri Rouzaud dans ses cahiers et que j'ai transcrit pour faciliter sa lecture, sachant que l'écriture manuscrite de Rouzaud est parfois indéchiffrable, que certains mots sont illisibles ( j'ai préféré les remplacer par des blancs). Malgré ma vigilance, des erreurs involontaires peuvent s'être glissées dans la transcription. J'ai pris le parti de mettre les liens relatifs aux cahiers en tout fin d'étude afin que tout l'intérêt du contenu de cette publication se révèle au lecteur-chercheur sans qu'il soit parasité par la forme extérieure du document.     

Ière Partie :

 Visite de Henri Rouzaud à Rennes-les-Bains 

« -1er Septembre, Départ à 5h pour Couiza où j'ai couché pour gagner le lendemain Rennes-les-Bains, où m'attend M. Bories.- 2 Septembre, arrivée à rennes à 7h du matin, visite dans la matinée le Bain Fort où M. Bories m'a montré les bras de 2 grandes statues de marbre trouvées jadis là où l'on croit qu'il y avait un temple de l'époque romaine (maison du forgeron à la sortie de la traversée qui mène à rennes-le-château et presque sur la route actuelle, qui va des Bains à Sougraigne. Le curé de Rennes qui y est depuis de longues années, et qui se nomme M. Bousquet (mot raturé et remplacé par) Boudet, nous a dit avoir vu bâtir presque toutes les maisons qui vont de celle de forgeron en amont, le long de la route et il dit avoir vu les fondements et les grosses pierres de base de ce temple ? Quoiqu'il en soi, l'une des mains de cette statue, tient à plat un serpent très régulièrement enroulé : la tête du serpent qui étai seule dressée, a été cassée et manque. Ce bras devait appartenir à quelque statue d'Esculape ou d'Hygie. L'autre bras sous la main est cassée mais dont on a les doigts et morceaux de doigts, semble plus grande et a dû appartenir à une statue différente. Elle tenait entre les3 premiers doigts un œuf de poule en marbre, de grandeur naturelle qu'on a conservé et qui porte le tour du contact de chacun des 3 doigts. De quelle divinité cet œuf était-il l'attribut ? Je verrai si les statues analogues sont connues et qui elles représentent ; au besoin je consulterai M. S. Reinach qui a publié le répertoire si pratique de la statuaire grecque et romaine. J'ai vu aussi dans la maison armoiriée du Bain-Fort, une plaque de marbre carrée avec une partie de trois belles inscriptions. Je la ferai relever et la mettrai ici, si elle est inédite :

V n° 1324   H. L.   P...T  XV p 397

édition de Sacaze 

M. Bories me dit qu'on avait conservé jusqu'à ces derniers temps une collection de monnaies romaines trouvées à Rennes-les-Bains à l'époque de l'abbé Delmas (1709), comme en  en témoigne une liste manuscrite que possède M. B. mais ces monnaies ont été presque toutes prises par le Docteur Vaysse de Quillan, qui fut longtemps (écrit en minuscule en bas de page : dans l'ouvrage du Dr Gourdon que je possède) médecin inspecteur des eaux. Le curé Boudet en avait aussi recueillies pas mal, avec quelques poteries fines ornées, tout cela a été dispersé et pris par quelque curiste amateur et même qu'il en a été pris au curé ....Boudet. Dans un champ touchant la Sals, sur la rive droite et immédiatement après les jardins qui s'abritent dans une boucle de la vallée avant d'entrée dans le village, champ qui forme une sorte de promontoire et oblige la rivière à faire une autre courbe vers la route de Sougraigne, le même curé Boudet a recueilli diverses poteries anciennes, qu'une des poteries que l'on dit wisigothiques, aux dents imprimées, en pâte de grès mais sans vernis plus noir (cad non ... au rouge avant la cuisson au feu réducteur). L''un de ces vases est une espèce de p... profonde, un peu déformée au four et presque..., une grande ... L'autre est une gourde ..., à 2 anses dont la forme est comme ses ampoules de St Manas mais devant contenir presque un litre. Elle est ornée de cercles concentriques, … en pierre, au centre est une croix imprimée de vernis ....

gourde a deux anses rennes les bains

Gourde à deux anses décrite par H. Rouzaud et donnée à celui-ci par H. Boudet 

...ces vases des temps chrétiens mais très anciens, le curé Bousquet (erreur de nom de Rouzaud et non rectifiée par lui) croit que ces vases ont été fabriqués dans le lieu même où ils ont été trouvés. J'ignore s'il a bien reconnu les restes des fours de fabrication ? Mais cette opinion peut me convenir, la forme même des vases attestant que les visiteurs de la source bienfaisante ont pu être naturellement désireux d'emporter chez eux, après leur cure, de l'eau à laquelle ils devaient leur guérison ; de là l'utilité d'un four de fabrication on parle bien de son avis ? Si je ne pouvais jamais faire ses fouilles dans ce champs, que j'ai parcouru pas à pas et où j'ai trouvé ces débris de poteries anciennes et grossières amphores, je me chargerais bien d'éclaircir ce point.

Dans un jardin, dit actuellement de Villefranque, nom de son possesseur, le même abbé Boudet a trouvé quelques fragments de poteries anciennes gallo-romaines de déc... à vernis en relief, fragments de vases..., vases ibériques ou mycéniens, mais dont les … ont disparu.

Ces dernières poteries et surtout la lampe grecque figurant dans l'opuscule  du Dr Gourdon qui est

croquis archives rennes les bains

croquis inséré par Henri Rouzaud entre les lignes de son journal 

dit-on une lampe attique du 4ème ou 3ème avant notre ère, sans doute c … qu'il y a dans le sous-sol de Rennes-les-Bains des traces matérielles d'une fréquentation des sources chaudes bien avant l'époque romaine. Elles ont dû être fréquentées aux temps de la gaule indépendante et dans les temps où les grecs pratiquaient nos côtes, a … … et y trouve des fragments de vases ..iatiques.

Le résultat de ce voyage d'un jour est pour moi que Rennes-les-Bains est une localité très intéressante par sa … antiquité et l'excellence de ces eaux et qu'il y a là des fouilles à faire pour y retrouver les témoins matériels de notre histoire présente, qui est nécessaire. » (1)

Venu spécialement de Montpellier, Henri Rouzaud arrive le 2 septembre 1910 à Rennes-les-Bains où il est attendu par M. Armand Bories qui va lui présenter l'abbé Boudet. Après une visite du Bain Fort et de ses trésors archéologiques (main, bras, plaque etc...) et alors qu'il avait été échaudé par une sévère critique de son ouvrage principal, Henri Boudet va lui exposer, sans retenue, bon nombre  de ses trouvailles en l'emmenant sur les différents lieux de découverte. Visiblement, Rouzaud semble adhéré aux interprétations de Boudet, notamment sur les nombreuses poteries et de la probable implantation sur site de fours pour leur fabrication. Boudet n'hésite pas à révéler à l'ancien député qu'il a vu les fondements et les pierres de base d'un temple antique romain et indique même son emplacement « la maison du forgeron à la sortie de la traversée qui mène à Rennes-le-château sur la route actuelle, qui va des Bains à Sougraigne ». Il précise sa localisation en indiquant qu'il n'y avait pas à l'époque de sa découverte d'habitat construit et qu'il a vu depuis se bâtir des maisons. Outre l'apport pédagogique indéniable du manuscrit Rouzaud, ce document nous permet de découvrir  un abbé Boudet prolixe à donner des informations sur ses trouvailles archéologiques à un respectable visiteur sollicité par un de ses confrères de la Commission Archéologique de Narbonne,  et cela à peine cinq ans avant sa mort. Cette visite nous permet de mettre en relief la venue de l'abbé Destrem et de son vicaire, en mars 1912, à RlB et à qui Boudet conseillera de découvrir la grotte votive de la Saponaire.

Après avoir feuilleté l'ensemble des cinq cahiers Rouzaud, nous n'avons trouvé aucune trace d'une autre visite de celui-ci à l'abbé Boudet mais son journal, en date du 25 juin 1915, nous a réservé un passage riche, encore une fois, d'enseignements :

« A 10h, j'ai eu la surprise de voir arriver chez moi Madame Ve Boudet, l'héritière du curé de Rennes-les-Bains qui portait le même nom étant sa belle soeur.

Je lui avais fait demande des quelques poteries que le curé avait trouvées lui-même à Rennes,où il a passé presque toute sa vie, j'en avais même fait offrir une cinquante .. francs par mon collègue Bès, le percepteur actuel d'Axat. J'ai donc été prié de lui remettre cette somme mais elle m'a promis quelques haches de même provenance quand je reviendrai ici à Axat prochainement.

J'ai donc la gourde plate dont j'ai parlé dans mon ... cahier (p...), l'écuelle en terre grès qui est de facture analogue et 2 vases en terre sigillée venant de Rennes-les-bains.

8 jours après ma demande, elle m'a fait remettre 3 petites haches en pierre polie et … … ... » (2)

Ainsi, la veuve d' Edmond Boudet (mort en 1912), devenue héritière du curé des Bains cède à Henri Rouzaud des témoins matériels, fruits des découvertes archéologiques de son beau-frère qui venait de décéder en mars 1915.

 

La deuxième partie concernant la visite d'Henri Rouzaud à Rennes-le-Château fera l'objet d'une prochaine publication...

 

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Léa Rosi



 

Le Prêtre… le chocolat… et l’effet papillon

Si, comme la plupart de mes collègues chercheurs, j’ai d’emblée et forcément été intéressé par les prétendus liens qui unissaient Bérenger Saunière à Emma Calvé, cet intérêt n’a duré que peu de temps car, à la vérité et pour peu que l’on en « gratte » le vernis, cette jolie histoire ne tient décidément pas  la route.

Ci-après, quelques réflexions découlant d’un travail de synthèse que j’ai réalisé à partir de notes éparses, d’articles de la presse spécialisée et d’interventions pertinentes relevées sur le forum.

Chronologie de la « belle histoire »

C’est Robert Charroux qui, le premier, évoque la « proximité » entre l’abbé et la cantatrice dans son « Trésors du monde » paru en 1962. Je le cite : « … d’autres belles partagent aussi le cœur du nouveau milliardaire. On a avancé les noms d’Emma Calvet, de la belle Comtesse de B. et de bien d’autres ».

Outre le « T » de Calvet, on notera la prudence (ou la pudeur) de Robert Charroux quant à l’identité de la « belle comtesse » et le « ON a avancé… ».

Cinq ans plus tard, Gérard de Sède reprendra l’information à son compte et, brodant allègrement sur la trame dessinée par Charroux écrira, dans l’Or de Rennes en 1967 : « Comment, à peine arrivé dans la capitale, le misérable curé de Rennes-le-Château fut admis chez cette diva, nous serions bien en peine de le dire. Mais le fait est qu’il le fut, si bien même que la cantatrice eut très vite à cœur de lui prouver que, hormis sur scène, elle n’avait aucun point commun avec la poétesse de Lesbos. Leur liaison, au vu et au su de tous, devait durer plusieurs années ». Plus loin, « La villa Béthanie ne désemplit pas. On y voit se côtoyer des prêtres, des notables de la région, des invités venus de Paris, de belles dames, Emma Calvé bien sûr… et la très authentique marquise de Bozas ».

Au sujet de cette noble dame, notons au passage qu’à la fois Robert Charroux (belle comtesse de B.) et Gérard de Sède (marquise de Bozas) se trompèrent lourdement en insinuant que Bérenger Saunière aurait pu l’avoir « fréquentée » intimement puisque cette liaison, si toutefois elle eût lieu, serait plutôt prêtée à son frère Alfred… mais avec la marquise du Bourg de Bozas, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Les deux écrivains avaient, semble t-il, plus urgent à transmettre à un lectorat avide de merveilleux pour vérifier sérieusement leurs informations. 

André Billy (1882-1971), romancier, essayiste et critique littéraire, dans ses « Propos du samedi », parus dans le Figaro littéraire du 1er janvier 1968, ne perdra pas de temps et produira un article intitulé « Le Curé, la Cantatrice et Satan ». Il récidivera d’ailleurs le 22 janvier 1968, dans la même chronique, en donnant son sentiment quant à la provenance de l’or de Rennes… il fallait oser.

Pierre Plantard de Saint Clair, dans sa préface à l’édition de « La Vraie Langue Celtique » de l’abbé Boudet aux éditions Pierre Belfond en 1978, se contentera, lors de sa description des fastes du domaine de l’abbé Saunière, d’évoquer prudemment « … un singe nommé Méla, cadeau d’une grande cantatrice ». Cette réserve, il faut bien le reconnaître, étant tout à son honneur. 

 

La pompe désormais amorcée… cette histoire croustillante, digne des pires romans photos, arrosera des tonnes de publications de tous genres et tous formats et sera reprises en boucle durant des décennies. Certains verront même Emma Calvé dessinée sous les traits de Bianca Castafiore par le célèbre Hergé qui ne pouvait, cela tombe sous le sens, qu’être initié aux mystères castelrennais.

Bien évidemment, des biographes de la diva, peu soucieux de « bétonner » leurs sources, iront de leur couplet et donneront en plein dans le panneau au risque de discréditer, par ce type de scoop fumeux, le reste d’un travail pourtant sérieux.

Je dis « scoop fumeux » car, à l’analyse, les éléments permettant d’accréditer une telle fable semblent décidément très légers.

Sources fiables : les écrits de Saunière, ceux d’Emma Calvé et de ses biographes.

Pour ce qui concerne d’éventuelles indications de la part de l’abbé Saunière, tous ses carnets de correspondance à ce jour disponibles ont été épluchés… tous les documents qui n’ont pas été dérobés à Marie Denarnaud ou brûlés par elle ont été minutieusement étudiés. Aucune trace d’Emma Calvé… si ce n’est sur une belle image… nous y reviendrons.

Emma Calvé fut plus prolixe sur sa vie sentimentale. Cependant, que ce soit dans son autobiographie          « My life », parue en langue anglaise à New-York en 1922, ou encore dans ses mémoires publiées en France en 1940 sous le titre « Sous tous les ciels j’ai chanté » (Plon), aucune allusion à Rennes-le-Château, aucun début d’indice, même caché, relatif à Bérenger Saunière ne peuvent être décelés.

La cantatrice ne cache pas ses penchants pour l’occultisme, ni ses fréquentations des cénacles ésotériques du temps mais, de l’abbé Saunière… aucune mention.

Si l’on se donne la peine d’étudier les écrits de ses contemporains… même constat accablant. 

Pierre Barthélémy Gheusi (1865-1943), journaliste et écrivain toulousain, membre de l’Eglise Gnostique Catholique, chantre du catharisme renaissant et proche de Péladan et de Papus fréquenta de nombreux habitués des salons parisiens où se pratiquait un « occultisme mondain ». Il connut, en outre, fort bien Emma Calvé et son « compagnon de route » Jules Bois et fréquenta son château de l’Aveyron. Pourtant… ni dans son ouvrage «Midi-Silhouettes» (Paris-Flammarion 1900) où il brosse les portraits de personnalités en vue à son époque dont, bien évidemment, celui de la cantatrice… ni dans son livre « Cinquante ans de Paris ou mémoire d’un témoin », où figurent pourtant force détails sur la vie de Mlle Calvé, n’apparaît, ne serait-ce qu’une seule fois, le nom de Bérenger Saunière. Aucune allusion, même légère, ne laisse imaginer que l’artiste lyrique puisse avoir connu le prêtre… cela pourra sembler décevant à certains… mais c’est, malheureusement pour eux, un constat implacable.      

Henry Lapauze (1867-1925), critique d’art et journaliste, dans la notice détaillée consacrée à Emma Calvé faisant partie de son « Recueil documentaire universel et illustré » paru dans la Revue Encyclopédique Larousse en 1898, ne fait, lui aussi, aucune mention de supposées relations entre le prêtre du Razès et la cantatrice célèbre.

  

Extrapolations littéraires et inventions biographiques.

Cependant, il est exact qu’une biographie récente de Mlle Emma Calvé fait état d’une liaison entre elle et « un inquiétant curé de campagne rencontré chez Claude Debussy ». Il s’agit en l’occurrence du livre que Jean Contrucci a publié en 1989 aux éditions Albin Michel sous le titre : « Emma Calvé, la Diva du siècle ». Mr Contrucci donne quelques informations assez anecdotiques relatives à la vie secrète de Bérenger Saunière et à ses relations avec la belle artiste, indiquant que cette liaison avait comme motif principal, pour celle-ci, de « choquer le bourgeois » afin d’entretenir le mythe de diva.

Ainsi que l’indique fort justement Michel Laflandre, dans le passionnant et très documenté article qu’il a consacré au couple Calvé/Saunière dans feu le magazine « Eldorado Quest » et à qui j’ai énormément emprunté afin de composer ce petit travail, Jean Contrucci reconnait lui-même, en citant ses sources, qu’il a tiré les informations concernant la liaison entre Saunière et Calvé d’après un petit billet commis  par l’Académicien Goncourt André Billy dans le Figaro Littéraire du 1er janvier 1968… C.Q.F.D.

Pour terminer dans ce cadre des sources biographiques relatives à la diva, Michel Laflandre reproduit, dans son article de référence, une lettre qui lui fut expédiée par Georges Girard le            1er février 1990.

Georges Girard est le président de l’association des Amis d’Emma Calvé et, à se titre, peut-être considéré comme une autorité en la matière. Il indique dans son courrier : « … héritier d’un important « fonds Calvé » qui m’a été confié par Mme Hubin, amie de Calvé, qui l’avait acheté lors des enchères publiques consécutives à la mort de la Diva en 1942, je n’avais rien trouvé dans les divers papiers de la cantatrice (nombreuses lettres, livre d’autographes comportant plus de 300 billets, carnets d’adresses) qui puisse faire soupçonner de pareilles relations. Ce n’est que par un article d’André Billy qui consacra son billet du lundi au trio Calvé-Saunière et Satan, que cela me fut révélé ».                                   

Bref ! Georges Girard a procédé comme la plupart des personnes de bonne foi dans le cadre de cette affaire abracadabrantesque, il a pris pour argent comptant des écrits antérieurs… pourvu qu’ils proviennent d’une « autorité intellectuelle », en l’occurrence, tout comme Jean Contrucci, un homme de lettres du genre d’André Billy, titulaire du grand prix de l’Académie Française en 1954 pour l’ensemble de son œuvre… ça donne du poids et du crédit ce genre de récompenses !

Je trouve, à titre tout à fait personnel, cette manière de procéder assez périlleuse… le résultat des courses est d’ailleurs là pour me donner raison.

Il apparaît néanmoins clairement que, abstraction faite de la mention relative à la prétendue liaison entre Calvé et Saunière évoquée par Mr Girard, lui-même « informé» sur le tard (et à tort) au travers de l’article d’André Billy, rien dans l’important fonds « Calvé » dont il a hérité ne fait mention d’une quelconque idylle entre la cantatrice et le curé… mieux que cela… aucune trace de Bérenger Saunière n’est décelable dans l’énorme masse documentaire constituée de documents personnels voire intimes.

 

Parcours à reculons…

Procédons avec méthode… à l’instar de ces Inspecteurs de la vieille Police et voyageons dans le temps afin de remonter le cours de cette histoire pour tenter d’en identifier la source.

Les « aficionados » de l’énigme des Deux Rennes, persuadés de la réalité des faits au vu de l’abondante littérature produite à partir de 1967 et, surtout, confortés par le sérieux des auteurs qui s’étaient prononcés pour la véracité des faits, ont finalement pris pour « argent comptant » la prétendue idylle entre l’abbé de Rennes et la cantatrice.

Il faut dire que la thèse était assez tentante. Outre le côté assez « sulfureux » de la romance, la proximité des genres laissait, de fait, planer un mystère vaporeux autour des relations du prêtre et les cercles occultistes parisiens de la fin du 19° siècle puisqu’il était de notoriété publique que la célèbre artiste en vogue se piquait de sciences occultes et fréquentait les membres de certaines Loges maçonniques ou théosophiques de la capitale.

Les simples curieux, amateurs d’histoires légères et pittoresques mais peu au fait de l’affaire Saunière car ne s’intéressant point à l’énigme de Rennes-le-Château et à son environnement, se sont amusés de la prétendue liaison entre ces deux personnes pour le moins atypiques dans la mesure où les faits, originaux et « croustillants » constituaient une lecture sympathique et divertissante.

Or, d’où proviennent donc tous ces articles, tous ces ouvrages spécialisés ou non, tous ces détails pittoresques voire graveleux ?

La réponse est simple… des deux chroniques d’André Billy dans le Figaro en 1968 pour les mentions relevant de la « petite histoire » et de la simple littérature de salon, mais, avant tout et surtout… du livre de Gérard de Sède, « L’or de Rennes » paru en 1967, véritable point de départ du « mythe fondateur » de toute cette étrange histoire qui perdure jusqu’aujourd’hui.  

Tous les auteurs spécialisés dans l’affaire castelrennaise ont puisé à cette source… et de leur côté, tous les auteurs ayant évoqués la pseudo-liaison entre Saunière et Calvé dans le cadre des études biographiques consacrées à celle-ci, ont récupéré leurs informations auprès du journaliste André Billy… caution inattaquable puisqu’éminent romancier et Académicien Goncourt joliment titré.

Sauf que celui-ci avait… comme les autres… retiré ses renseignements de la lecture du livre de          De Sède, puis publié ses articles quelques mois plus tard. Arrivées à ce point, les choses se clarifient de plus en plus.

Mais… continuons nos investigations plus loin encore, car la véritable origine du canular est  antérieure à 1967. Je l’ai indiqué au début de cette étude, c’est Robert Charroux qui fut le premier à évoquer la liaison entre la diva et le curé, dès 1962 dans son livre « Trésors du monde ».

Et là, nous nous approchons du but… relisons attentivement le passage consacré à cette affaire, relaté au chapitre 19 du livre intitulé, excusez du peu… : « Huit milliards dans une tombe »….

Robert Charroux ne perd pas de temps et, d’emblée, fait parler Noël Corbu, citant la quasi-totalité du texte « entre guillemets ». Ci-après quelques bribes de cet « interview ».

 

Robert Charroux - «  Voici d’après M.Corbu ce qui dut se passer ensuite… »

Noël Corbu - « Je ne puis pas révéler les sources de mon information mais puis assurer qu’il s’agissait du trésor de la Couronne de France : dix-huit millions en cinq cent mille pièces d’or, des joyaux, des objets du culte etc… » Plus loin, « Bref, c’est la grande vie à Rennes-le-Château où l’on tient table ouverte -et quelle table- pour toute la gentry des alentours… à vrai dire d’autres belles partagent aussi le cœur du nouveau milliardaire. On a avancé les noms d’Emma Calvé, de la belle comtesse de B et de bien d’autres ! ».

Ce qui est déterminant, voire capital dans ce chapitre clé, c’est que les informations de Charroux découlent directement de l’interview de Noël Corbu. Pourtant… dans le récit « La Puissance et la Mort », daté du 29 janvier 1953, que le restaurateur faisait écouter aux clients de son établissement… aucune mention de la liaison entre Bérenger Saunière et Emma Calvé. Cette lacune est pour le moins étonnante car la belle histoire de Monsieur Corbu aurait encore pris plus de « piquant » avec cette indication si romantique.

À titre personnel, je ne pense pas que Noël Corbu ait composé l’essentiel du texte qu’il déclamait aux touristes et, qu’en l’occurrence, « l’épisode Calvé » ne figurait pas dans la mouture initiale… mais cela est une autre affaire. Admettons qu’il en soit l’auteur… mais alors, pourquoi donc n’a-t-il pas inséré cet épisode captivant dans son récit ?  

Peut-être, tout simplement, parce que, à l’époque, il n’avait pas découvert le document capital pouvant établir de manière incontestable les relations intimes entre le curé de Rennes et la cantatrice célèbre. Quel était donc ce document incontestable ? Tout simplement une vignette publicitaire pour la marque de chocolat Guérin-Boutron, dans la série de collection « les artistes de l’opéra », où figurait le portrait d’Emma Calvé en costume folklorique de je ne sais quelle région.

emma calve cantatrice

Chromo publicitaire avec rehauts d’or, du chocolat Guérin-Boutron, réalisé par le photographe Benque

Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ce « décalage » : Monsieur Corbu n’avait peut-être pas découvert cette image au moment de sa rencontre avec Robert Charroux en 1962. Ou, tout simplement, peut-être, le restaurateur en eut-il connaissance par une tierce personne qu’un peu plus tardivement. Ou alors, autre possibilité, ce fut Robert Charroux qui, avisé de la découverte de l’image publicitaire, décida qu’elle « collerait » bien dans le scénario…

Je ne suis pas suffisamment féru sur cette belle affaire pour apporter un éclairage catégorique sur ce point de détail qui, à la vérité, importe peu dans la mesure où l’origine de la rumeur est finalement identifiée

La découverte de cette image publicitaire fut, en son temps, un « choc » dans le petit monde des chercheurs qui hésitèrent entre déception et intérêt lorsque le « lièvre » fut levé par quelques anciens particulièrement perspicaces.

Cependant, il faut bien se rendre à l’évidence, le scénario de l’invention rocambolesque de Robert Charroux, reprise sans désemparer par Gérard de Sède, trop heureux de trouver là matière à aventures mystérieuses, ne tient qu’à cela… un petit morceau de papier supportant le chromo coloré d’une cantatrice de l’époque.

J’y ajouterai tout de même autre chose… un autre élément qui ne fut connu que sur le tard mais qui, dans la mémoire des anciens habitants de la région, ne pût qu’alimenter la folle et belle hypothèse de la liaison entre nos deux personnages. Cet élément, nous le devons à la sagacité et à la rigueur de Patrick Mensior qui, dans un article intitulé « Une belle voix à Rennes-les-Bains » paru dans le bulletin de « l’association Rennes-le-Château. Doc » en date du 18 septembre 2016, nous fait prendre connaissance d’une lettre, adressée par une certaine Dame Vignard au propriétaire du Bain de la Reine, Mr Boriès. Cette curiste évoque, dans son courrier, une personnalité qui prend les eaux et dont la voix est splendide ; cette femme n’étant autre que Madame d’Hautpoul-l’Hermitte, femme d’un colonel en poste à Montpellier, et qui était la fille de Eugène d’Hautpoul-Seyre (membre de la Loge maçonnique « La Sagesse dont il fut d’ailleurs le Vénérable »), noyé dans l’inondation de Toulouse en juin 1875 après avoir héroïquement tenté de sauver plusieurs de ses concitoyens.

Dans son bulletin, Patrick Mensior indique, à juste titre : « Son célèbre nom porte à imaginer qu’elle s’est rendue également à Rennes-le-Château où la reçut l’abbé Saunière. Dès lors, ne serait-ce pas cette chanteuse qui, en lieu et place d’Emma Calvé, marqua à jamais la mémoire castelrennaise de sa merveilleuse voix. »

Il n’y a rien d’autre, à mon sens, à ajouter à cette brillante démonstration.

Conclusion

Une belle image… avec une jolie chanteuse… le souvenir d’une autre « Diva » ayant égayé les soirées de Rennes-les-Bains et voilà que les choses s’emballent… que des auteurs « sérieux » s’emparent de l’affaire et l’érigent en postulat de base. Voilà que des tonnes de littérature encombrent les rayons et que les hypothèses les plus farfelues sont échafaudées… polluant irrémédiablement le souvenir d’une affaire déjà bien compliquée.En 1972, le météorologue Edward Lorenz inventait la belle métaphore de « l’effet papillon » en se demandant si le battement d'ailes d'un papillon au Brésil pouvait provoquer une tornade au Texas.

Il se trouve que, dans le Razès, à un moment donné, une image de publicité pour chocolat aura scellé, à l’échelon mondial au vu des publications consacrées, le destin sentimental de deux personnes ne s’étant jamais rencontrées et suscité des centaines de pages de théories alambiquées.

Je terminerai en citant Jean Markale qui, ne faisant pas partie des dupes de cette histoire, relatait dans son livre « Rennes-le-Château et l’énigme de l’or maudit » : « Décidément, l’ombre d’Emma Calvé sur la tête de Bérenger Saunière n’est qu’un fantôme vaporeux que le moindre vent dissipe et anéantit ».

Aronnax - Janvier 2017

 

Emma Calvé dans « La Carmélite » (1902)



image rennes les chateau

Léopold Decarayon Latour
2 97 1850

Un des piliers du petit lavoir de Rennes les Bains est gravé d’une inscription qui nous a toujours intrigué. Nous n’avions jamais eut de renseignements sur qui était ce personnage Leopol Decarayon La Tour et voilà que le 10 février 2008 un document d’un historien Bordelais parle de cette famille.

Vol du buste Carayon La Tour au cimetière de la Chartreuse à Bordeaux
Lu ce matin dans Sud Ouest sous la plume de Florence Moreau :
"Dimanche 10 février, alors qu'il venait prendre des photos pour un ouvrage à venir, un jeune retraité a constaté que le tombeau-chapelle de la famille de Carayon La Tour, situé au cimetière de la Chartreuse à Bordeaux avait été délesté d'un buste en bronze de son plus célèbre représentant, Joseph
(...) Sénateur retiré à Virelade. Rue, caserne, caveau :
Joseph de Caraillon la Tour n'est pas un nom inconnu dans le quartier. Selon le guide illustré « La chartreuse de Bordeaux », qui recense les principaux mausolées du cimetière, Joseph de Carayon la Tour est né à Bordeaux, le 10 août 1824.

Quand les voleurs nous font découvrir l’histoire

Un des piliers du petit lavoir de Rennes les Bains est gravé d’une inscription qui nous a toujours intrigué.

« Élève de polytechnique, il commanda le troisième bataillon des mobiles de la Gironde pendant la guerre franco-allemande.
Chevalier de la Légion d'honneur après l'héroïque bataille e Nuits, il refusa le grade de lieutenant-colonel pour rester à la tête de son bataillon ».
Passionné de chiens _il fut à l'origine de la race du gascon saintongeais _ il s'est retiré au château de Virelade où il est décédé en 1886. L'église du village porte la trace de son passage. Il avait été nommé sénateur inamovible en 1878.

"Fayre pla, layssa dire", Faire bien, laisser dire, telle était la devise de la famille de CARAYON LATOUR
Héros de la guerre franco allemande de 1870, Joseph de Carayon Latour commanda le 3ème bataillon des mobiles de la Gironde, détaché dans l’Est.
Le château a consacré une salle d’honneur à cet illustre bataillon.
Elu représentant de la Gironde sur une liste conservatrice, il fut reconnu comme un des chefs du parti légitimiste sur le plan national et la personnalité la plus marquante du légitimisme girondin avec le marquis Amédée de Lur Saluces.
En 1878, il est nommé sénateur.
Sa vie sociale fut importante aussi bien à Paris qu’à Bordeaux.
Elève de l’Ecole Polytechnique, il géra tout d’abord les nombreux intérêts de sa famille , dont le domaine de Virelade à 5 km de Grenade, acquis en 1851.


Pionnier de l’agronomie, il fut lauréat de la prime d’honneur pour ce domaine en 1867. Membre du Comité des Courses du Jockey Club, du Comité de la Société Hippique de France et du Conseil Supérieur des Haras, il était reconnu comme un veneur distingué.
Il a créé la race dite du « chien de Virelade », un des chiens de meute les plus appréciés.
La meute de Grenade obtient le prix d’honneur au concours international de Paris en 1863 ; le célèbre peintre Jardin l’a reproduite sur un tableau.
Un mécène très investi dans les questions religieuses et philanthropiques, J. De Carayon Latour cumulait les présidences et les responsabilités : le conseil d’administration du quotidien royaliste « La Guienne », la société civile de Saint Joseph de Tivoli, la grande école catholique de Bordeaux, le Comité des Ecoles libres de la Gironde.
Le buste du baron, œuvre du sculpteur Chapus et résultat d’une souscription publique, fut installé après sa mort dans la mairie de Bordeaux.

Léopold Decarayon Latour 1824/1890 était donc le frère du sénateur girondin Joseph CARAYON-LATOUR –
Marie-Octave Léopold de CARAYON-LATOUR était membre de la loge Saint Lucien du grand orient de France –

Une question nous vient à l’esprit : qui a gravé cette inscription et à quelle occasion ?

 

 

 


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